Depuis plusieurs années, CODRA collabore régulièrement, dans les domaines de l’urbanisme, de l’environnement et de la mobilité, avec le cabinet « Benesty Taithe Panassac ». Celui-ci intervient par ailleurs dans le cadre de contentieux, du côté du plaignant ou du défenseur. Nous avons rencontré Cécile Panassac, pour aborder son métier, ses liens avec nos domaines de compétences et ses vœux pour 2015.

CODRA:La multiplication des contentieux est parfois évoquée pour expliquer en partie le ralentissement de la construction, notamment dans les zones tendues. Quelle est votre lecture de ce phénomène ?

On ne peut pas imputer le ralentissement de la construction à ce seul phénomène. Mais il est vrai que les attaques de dépôts de permis sont de plus en plus fréquentes, voire systématiques dans certains secteurs, par des riverains ou associations. Les recours ne vont pas toujours jusqu’au procès et les transactions peuvent intervenir sans limite entre personnes privées, contre de l’argent voire un appartement dans un projet d’habitat collectif ! Les promoteurs intègrent de plus en plus « ce coût » dans le chiffrage des programmes.

En revanche, il est dorénavant possible de rectifier le projet de permis attaqué en cours de procédure, dans le cas où par exemple, il n’était pas conforme au PLU : le juge en tiendra compte.

CODRA: Vous évoquiez le PLU, sur quels éléments portent les recours les plus fréquents ?

Les règles fondées sur une appréciation qualitative créent à la fois de la souplesse dans leur application mais aussi des aléas en cas de recours et de difficultés à instruire. Par exemple, sur l’aspect extérieur des constructions, le terme « d’harmonie » à respecter avec l’environnement bâti ou la notion de « bonne qualité d’insertion paysagère » génèrent des recours de plus en plus nombreux et on peut être parfois étonné de l’appréciation de ces termes subjectifs par les juges, dans un sens ou dans un autre.

Nous sommes souvent confrontés à des permis bloqués par des avis d’Architectes des Bâtiments de France ou par l’application de ZPPAUP obsolètes. De nombreux périmètres de protection de monuments historiques peuvent être des contraintes à la réalisation des projets urbains. Certaines villes utilisent d’ailleurs les multiples outils de protection de l’existant pour freiner les évolutions urbaines.

CODRA:Les collectivités devraient donc être plus vigilantes sur la pertinence et l’actualisation de leurs documents d’urbanisme ?

Les élus sont souvent vigilants mais ils ont des électeurs qui refusent fréquemment le développement de leur quartier, de leur commune et l’arrivée de nouveaux habitants. Ils doivent faire de gros efforts de pédagogie et ce sujet est devenu très politique.

En milieu rural ou périurbain, les élus doivent également composer avec les réalités agricoles : par exemple, certains agriculteurs proches de la retraite ne trouvent pas de repreneurs et la terre est leur seul capital ; d’un autre côté, il est souvent impossible de densifier les zones urbaines. Il peut alors y avoir une pression pour que des terres agricoles deviennent urbanisables. Le législateur en a pris conscience et proposé une protection des espaces agricoles péri-urbains par les Départements. Les enjeux financiers autour des terres agricoles sont importants. Plusieurs procès ont mis en avant qu’une collectivité ne peut pas envisager de créer une ZAC en achetant des terrains au prix de terres agricoles : en cas d’expropriation, il faut prendre en compte la valeur de terres à aménager. Nous avons eu le cas d’une commune rurale qui avait (mal) estimé son dossier de ZAC croyant acheter à 2€ /m² mais qui a été condamnée à payer jusqu’à 100 €/m².

C’est aussi la raison pour laquelle la loi ALUR et le projet de loi Pinel tendent à éloigner du niveau communal le pouvoir en matière d’urbanisme, pour mieux résister aux pressions locales de toutes sortes.

CODRA: Nous avons des craintes sur l’application des Orientations d’Aménagement et de Programmation des PLU avec lesquelles les permis doivent être compatibles et non pas conformes. Qu’en pensez-vous ?

Il y a encore très peu de contentieux sur ce point. Mais nous conseillons des OAP sans détail quantifié ni schéma précis, pour préserver un rapport de compatibilité. Les collectivités doivent garder en tête que le PLU n’est pas un outil de communication mais un document qui génère du droit qui sera appliqué par les juges.

CODRA: Cette remarque appelle une question sur la difficulté de compréhension des textes de loi et des différents codes dans nos domaines…

L’urbanisme et l’environnement sont deux domaines qui souffrent particulièrement d’écritures devenues, au fil des lois, de plus en plus obscures, voire médiocres, associées à des réformes tous les deux ou trois ans, une dispersion dans des lois « fourre-tout », des décrets d’application qui contredisent la loi, voire la loi qui se contredit elle-même.

De nombreuses infractions au code de l’environnement relèvent du pénal bien plus qu’en urbanisme. Je travaille beaucoup sur ces contentieux, en particulier sur la protection des eaux et le respect de normes techniques. En milieu rural, cela génère souvent des affrontements très idéologiques, entre sanctuarisation et valorisation du territoire, moins médiatisés que le cas de Sivens. Ces dernières années, on assiste, dans l’instruction des contentieux, à une radicalisation et à une agressivité croissante sur ce qu’il faut faire ou pas à tel endroit.

CODRA: Quels seraient vos vœux pour 2015 ?

D’abord, une pause législative, même si la parution de décrets est nécessaire, par exemple pour faciliter juridiquement la mutualisation du stationnement dans les opérations d’aménagement.

Ensuite, espérons que le développement des SCOT et PLU intercommunaux aidera à un vrai travail en mode projet des collectivités, en décloisonnant leurs réflexions urbanisme et mobilité.

 

Propos recueillis par Catherine Brown

(1)Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager