Se pencher sur l’impact des évolutions technologiques sur nos métiers ces quarante dernières années, c’est se souvenir d’une époque où la micro-informatique n’en est qu’à ses balbutiements. 1977, à l’échelle de l’informatique, c’est la préhistoire au sens propre.

Pour CODRA comme pour la société dans son ensemble, ces avancées ont d’abord concerné la transformation des outils de production : machines à écrire, papiers carbone et polycopieuses à alcool ont laissé place aux ordinateurs, imprimantes et photocopieurs à partir de la fin des années 80. Le gain en efficacité est sensible pour la production de documents et pièces écrites, mais cela ne constitue finalement qu’une amélioration des moyens. Les capacités des ordinateurs vont croissantes, de plus en plus de tâches leur sont allouées. Puis, c’est au tour des planches à dessin, trames Letraset et tireuses de plan d’être remplacées vers la fin des années 1990, mais cela n’est encore qu’une évolution matérielle.POS et Trames

La véritable révolution ? Elle est encore en cours, c’est l’avènement d’internet, pour ce qu’il permet en termes de partage de connaissance. Un exemple concret ? Le mouvement actuel d’ouverture des données publiques et de mutualisation des informations ayant un lien avec l’aménagement du territoire (directive européenne INSPIRE). Le but est de faciliter la mise en œuvre des politiques de développement durable grâce à une meilleure compréhension des territoires, permise par le croisement d’un maximum de données issues de sources hétérogènes.

Compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, à quoi s’attendre pour les quarante prochaines années ?

Voitures et drones se passant de conducteurs, ordinateurs quantiques mettant une seconde à calculer ce qui prendrait dix mille ans à un ordinateur actuel, intelligence artificielle sur réseau neuronal, machine « Learning » soit le processus qui confère aux ordinateurs une capacité d’apprentissage autonome. Voici un florilège des avancées qui, en changeant nos modes de vie, ne manqueront pas de transformer nos territoires. Les répercussions s’annoncent colossales. La voiture autonome à elle seule va remettre en cause les politiques de stationnement, de transport collectif et de marchandises, sans compter les effets à attendre en termes d’urbanisme, sur la voirie et les espaces publics !

Fortes de ces avancées qu’elles ont initiées et conscientes de leurs impacts, les multinationales du secteur des nouvelles technologies s’intéressent de près à la ville. Le système urbain est si complexe que nous ne parvenons pas à le modéliser correctement ? Qu’à cela ne tienne : IBM propose de truffer les villes de capteurs pour mieux les « optimiser »[1], Google pousse encore plus loin en aménageant un nouveau quartier de Toronto : Quayside, via sa filiale sidewalk [2]. Véritable ville-laboratoire hyper connectée pour mieux la décrypter, c’est également une première expérience de conception de « ville assistée par ordinateur ».L56_sig_2

Si le fait que des acteurs privés s’investissent dans la conception urbaine n’a rien de nouveau, leur volonté de « synthétiser » la ville en vue de son optimisation, est déjà plus singulière. Leur modèle met en avant les gains en termes de consommation d’énergie, la rationalisation du foncier et des déplacements, mais on peut toutefois s’interroger sur leur légitimité. Le bien commun peut-il être compatible avec les intérêts privés ?

Dans les années à venir, il reviendra aux urbanistes de ne pas se laisser déposséder de leur sujet par des modèles et autres simulateurs. Moyennant l’intégration objective à nos réflexions des enseignements issus des « machines » et en continuant à replacer l’habitant au centre des processus d’aménagement du territoire, l’avenir des urbanistes est assuré. La ville se réinvente en même temps que la société ? Beaucoup de travail en perspective !

 

Samuel Beaumont


[1] Smarter Cities d’IBM
[2] Quayside : Quartier « Google » à Toronto