Parmi les évolutions des quarante dernières années dans le domaine de l’aménagement du territoire, il en est une que l’on peut qualifier de révolution : la parole donnée aux habitants. Des Plans d’Occupation des Sols (POS) des années 1970 aux Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) d’aujourd’hui, la place des habitants dans la fabrication des documents de planification s’est transformée et on pourrait en dire autant des ZAC[1] ou des projets urbains.

1977, poids de l’Etat :

Documents de planification et projets d’aménagement étaient élaborés conjointement par l’Etat et les collectivités. L’enquête publique était le seul moment de recueil de l’avis des habitants, mais sur un projet « fini ».

2017, plus de 30 ans après la décentralisation : 

Les collectivités sont en charge de leurs choix, en concertation avec habitants et acteurs locaux. Échanger sur le projet avec les habitants avant la validation par le conseil municipal agit sur les choix en amont et sur le processus de décision.

 

1977, faible transparence :

les zones à urbaniser d’un POS étaient déterminées en fonction non seulement des besoins de développement mais aussi de demandes individuelles de propriétaires fonciers.

2017, intérêt général et intérêts particuliers :

la concertation et l’informations sont organisées en amont de la validation, le plus souvent en faveur de l’intérêt général. Mais parfois aussi pour servir des intérêts particuliers : le citoyen se mobilise pour valoriser son bien ou au contraire pour empêcher un développement jugé insatisfaisant ou source de dévalorisation de son bien.

 

1977, travail en vase clos :

le projet complet n’était présenté devant l’équipe municipale et les habitants qu’une fois finalisé au moment de « l’arrêt » du POS.

2017, nécessaire concertation amont :

la concertation doit commencer dès le début du PLU. Le débat sur le PADD[2] en conseil municipal est de moins en moins souvent le moment où les habitants découvrent les choix politiques.

 

1977, cela ne regarde pas les habitants… :

de façon générale, l’habitant n’avait pas droit à la parole pour alerter, réagir, suggérer.

2017, concertation globale et contestations individuelles :

la concertation mobilise des moyens très variables : rencontres publiques, ateliers, panneaux d’information, documents à consulter et mis en ligne, boîtes à idées, registres, site internet, balades « urbaines », etc. Il n’y a jamais eu autant de concertation, mais cela n’empêche pas les blocages et recours.

1977, documents techniques :

seuls les aménageurs et porteurs de permis de construire avaient connaissance de ces documents très techniques et aux choix souvent obscurs et complexes.

2017, documents politiques :

la concertation génère des échanges entre élus et administrés, sur des sujets souvent plus larges que ceux du PLU. Habitants et élus (de la majorité comme de l’opposition) utilisent le PLU pour mobiliser politiquement : ZAC et PLU s’invitent dans les campagnes électorales !

 

Les lois relatives à la décentralisation, aux enquêtes publiques, à la concertation ont accompagné un mouvement de société croissant, par lequel le citoyen est invité à s’investir dans la planification et les projets urbains. Au-delà de l’arsenal législatif, le public lui-même s’impose, montrant sa capacité à faire basculer des projets et jugeant pourtant, de plus en plus souvent, la concertation insuffisante et tardive.

Concertation et co-construction s’inscrivent dans cette tendance croissante et durable. Mais elles requièrent du temps, de la pédagogie, de la patience, des moyens humains et financiers et l’intelligence politique d’en tirer des éléments d’amélioration des projets, voire l’humilité de changer de cap.

Ces démarches peuvent réellement améliorer les projets, mais des challenges restent à relever : donner la priorité à l’intérêt général et au long terme, aux aménagements laissés aux enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants des habitants rencontrés dans les démarches de concertation, éviter la frustration de l’habitant qui entend les orientations louables du PADD mais peut rester encore méfiant sur leur traduction règlementaire, mobiliser des publics variés sortir de la fréquente surreprésentation des propriétaires de plus de 65 ans.

Or, les échéances électorales et le sacro-saint droit de propriété, souvent mal interprété, compliquent la tâche des collectivités : il est urgent d’inclure les principes d’aménagement durable du territoire dans la culture générale des habitants (les plus jeunes commencent à l’apprendre au collège). Pour faciliter cette prise de conscience, à quand un jeu de rôle interactif à la télévision ou sur internet sur l’aménagement de ma région, de ma commune, de mon quartier ou de l’îlot voisin ? A quand des spots sur de bons et mauvais exemples de densification ? A quand un concours national incitant les collectivités à se développer agréablement tout en consommant moins d’espaces agricoles et naturels ou d’énergie ? Avant les 50 ans de CODRA, ce serait bien !

 

Catherine Brown, David Lizion


 

[1] Zones d’Aménagement Concerté
[2] Projet d’Aménagement et de Développement Durables