La notion de santé dans la ville a émergé tout au long de l’époque moderne pour parvenir aux théories hygiénistes du 19ème siècle qui visaient à purifier les villes en permettant à l’eau et à l’air de mieux circuler et d’emporter les détritus et les miasmes[1]. C’est le sens des travaux d’assainissement ayant donné le jour aux grandes avenues haussmanniennes à Paris. Si les fortes odeurs corporelles étaient associées à la vigueur des individus aux 17ème et 18ème siècles, le 19ème siècle voit grandir l’intolérance aux mauvaises odeurs sous l’effet d’une bourgeoisie qui valorise les parfums et d’une nouvelle épidémie de choléra qui fera renaître l’idée que la saleté et la puanteur sont à l’origine de certaines maladies. La salubrité urbaine sera, en partie, la résultante d’une évolution de la société vers une discrétion olfactive qui sera désormais recherchée, et par voie de conséquence, d’une plus grande salubrité des bâtiments et espaces publics puis de l’habitat.

L60_env_1Récemment, cette notion de santé dans la ville a refait surface. La santé n’est plus le domaine réservé des médecins, elle concerne aussi les aménageurs et urbanistes qui ont un rôle à jouer dans l’accompagnement des collectivités. En effet, la notion de santé dans la ville s’invite de plus en plus dans les débats et les documents d’urbanisme. Au-delà des évaluations environnementales qui devraient bientôt devenir obligatoires dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et des sollicitations croissantes des Agences Régionales de Santé (ARS) pour émettre un avis sanitaire sur un projet d’aménagement ou un document d’urbanisme, la ville veut être perçue comme un lieu sain et durable et s’inscrit dans des démarches de promotion du piéton, des modes actifs de déplacement, des espaces verts qui sont érigés comme des atouts majeurs de la ville durable.

Souvent décriée comme une source de pollution (mauvaise qualité de l’air), de nuisance sonore, de stress, de surmenage, d’habitat indigne engendrant des maladies chroniques ou facilitant le développement de maladies mentales (dépression), la Ville veut développer des espaces publics de qualité, le retour de la nature (toiture végétalisée…), initier de nouvelles formes urbaines et une autre relation à l’environnement (éco-quartier, bâtiment basse consommation, lutte contre l’étalement urbain…).

La démarche amorcée par les Ateliers Santé en Ville (ASV) participe de cette volonté de renouer politique de la ville et santé publique. L’intégration d’un volet Santé dans certains Contrats Urbains de Cohésion Sociale (CUCS) en témoigne, avec la volonté subséquente de contribuer à réduire les inégalités sociales et territoriales en matière de santé.

A ce titre, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la Santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social » et accorde une importance à de nouveaux facteurs liés aux environnements physiques et sociaux. L’adhésion au réseau Ville-Santé de l’OMS dépasse les seules compétences des communes sur les sujets de l’hygiène et de la salubrité en intégrant la santé dans l’ensemble des politiques communales que ce soit dans l’habitat, les mobilités, l’accès aux services et équipements, etc…

Parallèlement, l’outil d’Evaluation de l’Impact sur la Santé (EIS) plébiscité par certaines villes se développe comme un outil d’aide à la décision qui a pour objet d’identifier, à l’aide d’informations scientifiques et contextuelles, les éléments d’une politique ou d’un projet qui pourraient avoir des effets favorables ou défavorables sur la santé. Cet outil permet d’anticiper les conséquences éventuelles sur la santé des politiques publiques ou des aménagements urbains en favorisant la collaboration entre des acteurs qui ne relèvent pas directement du champ de la santé.

Missionné par la Ville de Nanterre pour réaliser une EIS sur le projet de reconversion du site des anciennes papèteries de la Seine[2], l’APUR a proposé une série de recommandations classées selon leur degré de faisabilité, de simple à complexe, pour proposer des conditions favorables au bien-être des futurs habitants et usagers des 17 hectares de friches industrielles. De la prise en compte du bruit et de la qualité de l’air par rapport aux infrastructures routières en passant par la relation à l’eau, à la nature et au paysage, aux équipements favorisant les mobilités actives ou encore une architecture incitant à des pratiques quotidiennes, l’enjeu de cette EIS aura également porté sur une limitation des nuisances liées à un important chantier.

La ville soucieuse de promouvoir un urbanisme favorable à la santé pour attirer de nouveaux ménages serait-elle la ville de demain ?

La prise en compte de la santé dans la constitution du bien-être des citadins semble donc essentielle et l’enjeu pour les acteurs locaux sera de se saisir de cette complexité par une approche pluridisciplinaire.

La capacité que chaque ville aura à se donner à voir non seulement comme « smart city » mais aussi comme « healthy city[3] » sera probablement une nouvelle mise en concurrence des villes qui auront à montrer leur potentiel d’attractivité et à se faire accompagner pour déployer des méthodologies et des ingénieries ad hoc.

Kristelle Delanoë


 

[1] Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982
[2] https://www.apur.org/fr/nos-travaux/projet-reconversion-site-anciennes-papeteries-seine-nanterre-etude-un-urbanisme
[3] Terme emprunté à Marina Honta et Jean-Charles Bassin