Quartier de Paddington Centra - Londres
Quartier de Paddington Central – Londres

Densité oppressante, flux importants, rythme accéléré… La ville a été traditionnellement associée à un certain mal-être chez ses habitants. Elle serait propice au développement de divers troubles psychiques. Plusieurs études montrent en effet une corrélation entre l’anxiété, le stress, voire la dépression, et la vie urbaine. Paradoxalement, la vie en ville se traduit par l’isolement d’une partie de la population. La proximité spatiale ne s’accompagne pas nécessairement d’une proximité sociale, dans le sens où la ville ne dispose pas toujours d’espaces favorables au lien social, parfois plus prégnant dans les campagnes, malgré des distances plus importantes.

Comment continuer de favoriser la croissance urbaine, dans un souci de développement durable, sans pour autant accroître la pression sur le bien-être des habitants ?

Une préférence pour les espaces verts, conviviaux et animés

Ces dernières années, les experts en psychologie environnementale et en sciences cognitives ont commencé à s’intéresser aux interactions entre environnement urbain et santé mentale. Quels éléments de la ville ont un impact, positif ou négatif, sur le bien-être de la population ? Une expérience conduite par le Laboratoire BMW Guggenheim à New-York, Berlin et Mumbai a démontré que les personnes ressentent une émotion positive aux abords des espaces verts et dans des rues présentant des façades ouvertes et animées. Une deuxième expérience, menée par le cabinet Happy City à Vancouver, a montré que les jardins partagés et autres espaces publics réappropriés par les habitants renforcent le bien-être, réduisent le stress, augmentent le sentiment d’appartenance et favorisent la confiance à autrui.

Ces expériences montrent que le cerveau humain a besoin de contact avec la nature, d’interaction sociale et d’une certaine complexité, afin de satisfaire sa curiosité naturelle. Les environnements trop répétitifs ou monotones, tels que les façades aveugles, sont sources d’ennui et de stress chez les citadins.

Une émergence de cet enjeu dans les projets urbains
Espaces publics - Vancouver
Espaces publics – Vancouver

La prise en compte de la santé mentale est essentielle dans les projets qui opèrent de profonds changements au sein d’un quartier, particulièrement les projets de renouvellement urbain. La démolition de bâtiments et la recomposition d’espaces publics, qui ont permis de développer des habitudes de sociabilité dans le quartier, peuvent mettre à mal les relations sociales et entraîner une perte de repères, particulièrement pour les habitants relogés en dehors du quartier. Cette expérience peut être vécue comme un déracinement, facilitateur du déclenchement de maladies ou de l’aggravation de troubles anxiogènes. La prise de conscience de cet enjeu a donné lieu à un rapport de l’ARS Ile-de-France, comportant des recommandations pour mieux intégrer la santé mentale dans les projets d’aménagement.

Traduction de ces principes dans un projet concret, le réaménagement du secteur Paddington Central, à Londres, se caractérise par un urbanisme favorable à la santé mentale : végétation, espaces publics favorisant la rencontre, mobiliers encourageant l’échange, lieux multigénérationnels, animations, matières et couleurs déclenchant des émotions positives, respect de l’identité locale… Autre exemple récent, des experts français en sciences cognitives ont créé le collectif S[CITY], dont la mission consiste à étudier les émotions humaines dans l’espace public et apporter des recommandations pour améliorer le repérage et réduire le stress des usagers.

L’espace vécu, une échelle géographique à ne pas négliger

La configuration géographique de la ville et les pratiques de mobilité exercent aussi une influence sur le bien-être des habitants. Empiétant sur des activités plus valorisantes telles que la vie familiale, le temps de déplacement est souvent perçu comme le moins satisfaisant de la journée. Selon l’ONS, institut de statistique anglais, chaque minute supplémentaire réduit le bien-être et accroît l’anxiété, avec un impact particulièrement élevé au-delà de 30 minutes. Une étude récente du CNRS approfondit cette dimension spatiale, démontrant que l’ampleur de l’espace pratiqué au quotidien est corrélée au risque de dépression des ménages dans les secteurs fragilisés de l’Ile-de-France. Une meilleure desserte de ces secteurs à travers la mise en place de nouveaux réseaux de transport collectifs, tels que le Grand Paris Express, contribuerait à améliorer la santé mentale des habitants.

Eco-quartiers des Docks - Saint-Ouen
Eco-quartier des Docks – Saint-Ouen

Habiter en périphérie d’une grande ville aurait un impact négatif sur la santé mentale des ménages concernés, non seulement en raison de la durée des déplacements, mais aussi de la faible intensité des relations sociales. A terme, cela pourrait se traduire par des maladies chroniques, d’ordre physique ou mental. Les ménages sont-ils conscients de ces lourdes conséquences sur leur santé lorsqu’ils choisissent la localisation de leur logement ?

Demain : une ville qui favorise le bien-être des habitants ?

A l’heure où l’OMS affirme qu’un quart de la population sera touchée par un trouble mental au cours de sa vie, il est urgent d’intégrer la notion de santé mentale dans les réflexions urbaines. En effet, la qualité d’un lieu résulte aussi bien d’un aménagement réussi que de l’appropriation qui en sera faite par les habitants. Afin d’éviter que la ville reste synonyme de stress, il faudra amplifier les aspects positifs de la vie urbaine, notamment l’émergence de lieux de rencontres, la proximité des personnes et des destinations, et réduire les aspects négatifs, tels que les difficultés de mobilité ou l’isolement de certaines populations. La co-construction des projets avec les habitants et la prise en compte des rapports subjectifs qu’ils entretiennent avec leur environnement deviennent aussi des priorités. A terme, cela devrait permettre de faire émerger une ville capable de concilier développement durable et bien-être mental.

 

Pablo Carreras et Kristelle Delanoë