Au vu des perspectives d’évolution démographique de la population, la compréhension et la prise en compte du vieillissement de la population dans la définition des politiques publiques est nécessaire. En effet, selon l’INSEE, les personnes vieillissantes de plus de 65 ans représentent 20,5% de la population au 1er janvier 2020 et pourraient représenter jusqu’à 28,7% en 2070.

Tandis que le vieillissement de la population semble être principalement associé aux territoires ruraux, c’est dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qu’il est le plus rapide et marquant entre 1990 et 2010. Le nombre de personnes de 60 ans et plus a augmenté de 89,5 % dans les quartiers, leur part dans la population passant de 11,4 % à 14,7 %[1].

Cet enjeu de l’allongement de la durée de vie est d’autant plus important qu’une majorité de la population souhaite vieillir dans son logement. Ainsi, la loi du 29 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) souligne l’importance du logement à travers ses caractéristiques, sa localisation, pour permettre aux personnes qui le souhaitent de vieillir chez elles dans les meilleures conditions.

Par ailleurs, selon l’étude du Commissariat général à l’égalité des territoires intitulée « Vieillissement de la population : un processus qui touche aussi les quartiers prioritaires de la politique de la ville », la population des QPV se caractérise par des situations différenciées entre les hommes et les femmes vieillissant·e·s. Ainsi, les femmes de plus de 75 ans sont plus nombreuses dans les QPV par rapport aux quartiers hors QPV. Ces dernières constituent 56,1% des ménages isolés (soit 36,7% des ménages) dans les QPV et vivent des situations de précarité importantes, l’écart des pensions de retraites s’élevant à 653€ entre les hommes et les femmes).

 

A partir des analyses intersectionnelles selon lesquelles les écarts de genre, de positions sociales, et les processus d’exclusion, s’accentuent selon le territoire et avec le temps[3], plusieurs questions se posent : comment ces dynamiques démographiques se reflètent dans ces territoires ? Comment l’action publique prend-elle en compte l’hétérogénéité du groupe des « personnes âgées » ? Une approche des effets du vieillissement sur certains groupes tels que les femmes vieillissantes qui font l’expérience de formes d’exclusions permet-elle de développer des actions spécifiques dans le cadre de la politique de la ville ? Quels sont les enjeux pour l’action publique de se saisir de ce phénomène spécifique ? En effet, il semble nécessaire de questionner la prise en compte de ces dimensions dans les politiques de vieillissement dans les QPV. Or, dans ces territoires, les personnes vieillissantes sont fortement sous-représentées dans les actions de la politique de la ville, qui sont le plus souvent orientées vers les jeunes.

 

Un premier enjeu : la définition du vieillissement

Le vieillissement constitue encore un phénomène complexe auquel sont attribuées plusieurs significations. Qu’est-ce que cela signifie d’être vieux ou vieille ? Est-ce qu’il s’agit des années de vie écoulées depuis la naissance ? Est-ce qu’il s’agit d’un état psychologique ? physique ? biologique ? Cet article reprend l’âge chronologique, et fait référence aux personnes de plus de 60 ou 65 ans, puisqu’il s’agit de la façon dont les politiques publiques font référence aux groupes d’âges.

Se pose également la question du vocable à utiliser, faut-il parler de « seniors », « troisième âge » ou encore « aînés » ? Le terme « personnes vieillissantes » permet de désigner le processus de vieillissement en tant que tel et tend à moins invisibiliser les situations individuelles que l’utilisation de ces autres termes issus du marketing ou bien stigmatisants tels que « vieux », seniors, aînés.

 

Les QPV confrontés à une transition démographique

Les habitant·e·s des QPV sont effectivement plus jeunes que la moyenne nationale, quatre habitant·e·s sur dix ont moins de 25 ans[4]. Or, dans son dernier rapport paru en 2020, l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) montre en effet que la classe d’âge des personnes âgées de 60 ans et plus, est la seule à augmenter dans les QPV entre 2010 et 2016. Comme le reste du territoire, les QPV sont concernés par le résultat d’une période de « baby-boom » dans les années 1945 à 1974, une part importante de la population est aujourd’hui âgée de 45 à 74 ans. Une part d’entre eux alimente déjà le vieillissement actuellement observé. L’analyse de ce phénomène au travers de la pyramide des âges donne à voir les évolutions à venir : la part des plus de 70 ans ne va cesser de croître les 30 prochaines années, c’est l’arrivée aux âges avancés de la génération de babyboomer, c’est l’effet « papy-boom ».

Le rapport de l’ONPV souligne également l’évolution différenciée entre les hommes et les femmes parmi les personnes vieillissantes. La part des femmes vieillissantes augmente plus rapidement entre 2010 et 2016 dans les QPV qu’au niveau national. Par ailleurs, ces femmes âgées de 60 à 74 ans représentent 64,7 % des ménages d’une personne de 60-74 ans et 80,6 % de ceux de 75 ans et plus.

Aborder le vieillissement sous le prisme du territoire et du genre pour faire évoluer nos perceptions ?

Les formes urbaines des quartiers ne sont pas neutres et ont des effets sur le vécu et la perception du vieillissement par les habitant·e·s. Ainsi, les personnes vieillissantes vivant dans les territoires urbains sont souvent gênées par la disparition des commerces de proximité dans les zones péri-urbaines constituées de centres-commerciaux, lesquels nécessitent une voiture pour s’y rendre. Dans les villes, et particulièrement les centres anciens, les personnes vieillissantes rencontrent également des inadaptations en termes d’équipement, de trottoirs trop étroits par exemple. Par ailleurs, les relations et solidarités de voisinage sont souvent plus faibles dans les territoires urbains.

Le risque d’isolement est alors important, d’autant plus que dans les QPV, les personnes vieillissantes sont moins attachées à leur logement et à leur quartier[5].

Dès lors, le phénomène de vieillissement dans les QPV semble exacerber certains critères de fragilités et d’isolement des personnes vieillissantes.

 

En lien avec ces évolutions sociodémographiques récentes dans les QPV, le rapport « Nous vieillirons ensemble… 80 propositions pour un nouveau Pacte entre générations », publié en 2021 aborde le sujet : « Dans ces quartiers, la question du vieillissement va se croiser avec celle du genre. Être une femme isolée et âgée dans un quartier prioritaire de la ville : voilà une situation qui sera demain de plus en plus fréquente »[6].

Par ailleurs, parmi cette catégorie de la population, la question des femmes immigrées vieillissantes dans les QPV se pose. Toutefois, les études sur le vieillissement des personnes immigrées dans les QPV traitent le plus souvent des hommes et de leurs parcours migratoires ou professionnels. Or le sujet de la décohabitation des habitantes vieillissantes, en raison de la perte de leur conjoint·e·s, d’une séparation et/ou du départ des enfants est un enjeu important en tant que cela pose des questions d’accès aux droits notamment[7].

 

L’une des hypothèses formulées au départ suppose qu’une approche selon une perspective de genre permettrait de mieux prendre en compte la complexité de ce groupe de personnes vieillissantes dans les QPV.

Cependant, la tendance nationale des contrats de ville ne semble pas être à la priorisation des enjeux liés au vieillissement de la population, comme le montre une étude conduite par le CGET en 2017, « sur les 29 220 actions financées en 2016 dans le cadre des contrats de ville, seules 2% concernent exclusivement des personnes âgées. Ces dernières se retrouvent ainsi sous-représentées aussi bien en termes de publics touchés que de budgets mobilisés ».

 

Finalement, si les données sur le vieillissement dans les QPV laissent apercevoir une transition démographique, il ne constitue pas pour autant un axe essentiel de l’action publique. Bien que les dynamiques démographiques traduisent un phénomène de vieillissement particulièrement rapide dans les QPV, qui concerne essentiellement les femmes seules et dans le grand âge. Le vieillissement n’est pas non plus abordé de façon transversale, à l’intersection du genre et du territoire.

Or, il semblerait important de sortir de l’approche du vieillissement sous le seul prisme de l’assistance et de la dépendance, puisqu’aborder la question du vieillissement dans les QPV, c’est en grande partie évoquer les habitantes vieillissantes.

 

Alexandrine KHERCHI

 

 

[1] Albertini (dir.), Vieillissement de la population : un processus qui touche aussi les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) : comparaison des 250 quartiers dont les périmètres sont restés stables. 2017

[2]  Genre et Ville, Sabri Bendimérad Architecte. Garantir l’égalité dans les logements, méthode et outils (2018) p11. Chiffres clés 2017 Ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

[3] Bilge, S. (2009). Théorisations féministes de l’intersectionnalité. Diogène, 225, 70-88

[4] ANRU, “L’approche égalitaire de l’urbanisme. Outils et méthodes pour garantir l’accès à la ville pour tou·t·es”. Juin 2021

[5] [5] Selon le rapport Petits Frères des Pauvres “Solitude et isolement des personnes âgées : les effets du confinement” publié en 2020 : 32% des habitants âgés des QPV ressentent de la solitude (vs 27% pour la moyenne nationale), 30% ne se voient pas vieillir sereinement (vs 18%), 38% n’utilisent pas Internet (vs 23% à 27%), 45% constatent une absence de solidarité (vs 31%).

[6] Proposition n°53 issue de : Broussy Luc, “Rapport interministériel sur l’Adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population”. Mai 2021

[7] Gallou R., Les femmes âgées immigrées, une population oubliée des politiques publiques. les Cahiers du Développement Social Urbain, 2021/1 p. 17-18