Notre invité : Vincent Pujolle, responsable du service développement à la CC du Barséquanais en Champagne
CODRA a récemment accompagné la Communauté de communes du Barséquanais en Champagne dans une étude stratégique de redynamisation de son bourg-centre, Bar-sur-Seine. Emblématique d’une ruralité en mutation, cette collectivité s’est dotée d’un service développement pour initier et accompagner les projets du territoire. Son responsable, Vincent Pujolle, nous apporte un éclairage sur ce que signifie faire du développement local en milieu rural aujourd’hui.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre poste actuel en quelques mots ?
Je suis arrivé à Bar-sur-Seine il y a environ 17 ans, pour mettre en œuvre un Pays. Il s’agissait d’une part, d’élaborer un projet en concertation avec la population et les différents acteurs du territoire et d’autre part, de contractualiser avec les partenaires autour d’une ambition formulée ainsi : « Vivre au Pays, le faire vivre pour mieux y vivre ». À l’époque, contractualiser et associer la population étaient des nouveautés pour le territoire.
Le Pays s’est construit, et j’y ai occupé le poste de directeur, en tant qu’unique salarié. Chemin faisant, la structuration en intercommunalités et leur fusion m’ont fait évoluer vers mon poste actuel de responsable développement au sein de la Communauté de communes du Barséquanais en Champagne.
Que signifie être un territoire rural aujourd’hui ? Pourquoi y faire du développement ?
Ce qui caractérise la ruralité aujourd’hui, ce sont certainement les notions de temps de trajet, de cadre de vie, de relations sociales plus denses. En tout cas, un territoire rural n’est ni un territoire sans vie, sans services, ni un territoire où on s’ennuie.
Tout le monde ne va pas s’installer en ville ou en périurbain. En ruralité, il est plus facile d’être connu et reconnu et de participer à la vie du territoire. L’avenir le dira, mais j’ai le sentiment qu’un basculement va se faire. Le modèle ne sera pas le même qu’il y a 20 ans, mais si on met bout à bout tout ce qui est initié, cela crée de la vie. On a tout à gagner à faire du développement !
Aujourd’hui, le phénomène de métropolisation et le désengagement de l’État sur certaines problématiques sont avérés. Mais il y a aussi des néoruraux et une volonté de quitter les territoires urbains très denses. Les territoires ruraux doivent se mettre en capacité de pallier le manque de services, sinon leur déprise va s’accentuer. Est-ce qu’on se calque sur d’autres territoires ou est-ce qu’on essaye d’innover en s’adaptant au contexte local ? Le rural doit recréer son maillage, non pas indépendamment, mais en complément du milieu urbain.
Quels sont les éléments nécessaires pour assurer le développement d’un territoire rural ?
Le plus important est d’avoir une stratégie et une vision pour le territoire. Par exemple, il y a 15 ans, la commune d’Essoyes a commencé à développer un projet de valorisation touristique de la maison familiale du peintre Auguste Renoir. Aujourd’hui, la commune est devenue « Pôle d’excellence rurale ». Elle a une image très positive, et gagne même des habitants. Comme quoi les choix politiques peuvent enclencher des dynamiques. À l’inverse, le manque de vision dévitalise les territoires.
A l’échelle intercommunale, il faut faire comprendre aux élus la partition du territoire et son armature urbaine. Il faut choisir, parce que tout ne peut pas se faire n’importe où et collaborer, parce que l’individualisme ne fait pas avancer les choses.
Pour autant, il faut aussi savoir s’échapper, voir ce qui se fait à l’extérieur, saisir des opportunités, répondre à des Appels à Manifestation d’Intérêt, anticiper les conséquences et… oser, se dire qu’on peut le faire. Quand un projet est bon, il est toujours plus facile de mobiliser des partenaires.
C’est d’autant plus facile aujourd’hui que les politiques publiques font un focus sur le milieu rural. Lorsque l’on s’engage dans une démarche, les services de l’État et les différents partenaires sont prêts à se déplacer et à venir échanger, car face à la réorganisation territoriale, ils revoient aussi leur positionnement. En fin de compte, les seuls freins sont ceux que l’on se met, et l’image que l’on véhicule.
Concrètement, comment fait-on du développement territorial dans ce contexte ?
J’ai cette chance d’être au contact direct des porteurs de projets, ce qui m’amène à les recevoir, les écouter, ajuster avec eux leur projet, les orienter vers des partenaires… Un aspect important consiste aussi à démarcher les territoires voisins, car il y a souvent un intérêt commun à travailler ensemble. Sur le tourisme par exemple, nous sommes actuellement engagés dans un travail avec le Guide du routard. Nous échangeons avec les autres intercommunalités de la Côte des Bar, car cela n’aurait pas de sens de se contenter de réfléchir à l’échelle de Bar-sur-Seine ou du Barséquanais.
Récemment, nous avons mené une expérimentation avec la Région Grand Est autour de la question : « comment mieux agir pour l’économie de proximité ? ». Le diagnostic a mis en avant que notre territoire génère beaucoup de capitaux grâce au champagne notamment, mais que la consommation locale est limitée. À force de discussions et d’échanges, l’idée d’un « petit Amazon local » a émergé. Nous allons donc créer une application qui donnera de la visibilité à nos commerçants et permettra d’acheter en ligne puis de retirer les achats sur place.
Cette démarche nous a aussi amenés à sortir du carcan traditionnel et à nous positionner sur un projet de « FabLab[1] ». À force d’innover, d’expérimenter et de faire parler de nous, on en vient à nous appeler ! La fondation Orange souhaite nous accompagner dans la réalisation de ce projet, après en avoir pris connaissance par un article dans la presse locale.
Dans le Barséquanais, je pense qu’on arrive dans une phase de « récolte » de ce qu’on a semé. À la veille des élections, espérons que des équipes se positionnent avec un regard prospectif, positif, ambitieux… Et qu’elles aient envie de se dire qu’on va faire les choses ensemble. Je suis optimiste là-dessus !
Propos recueillis par Héloïse Blanzat et Samuel Léon
[1] Contraction de l’anglais « Fabrication Laboratory », un FabLab est un lieu ouvert au public mettant à sa disposition des machines et outils pour la conception et la réalisation d’objets de toutes sortes. Tourné vers la fabrication numérique, le FabLab entend rassembler dans un même espace les ressources nécessaires à la réalisation d’un projet de A à Z, de l’intention jusqu’à sa matérialisation. La fabrication numérique permet notamment de produire des pièces complexes sans passer par le circuit industriel. Il s’adresse aux entrepreneurs qui veulent passer plus vite du concept au prototype ; aux designers et aux artistes qui trouvent de nouveaux moyens d’expression ; aux étudiants désireux d’expérimenter et d’enrichir leurs connaissances pratiques en électronique, en conception et fabrication assistées par ordinateur, en design ; aux bricoleurs du XXIe siècle…