Un département français tous les dix ans : telle est l’image répétée sur la consommation de surfaces par l’urbanisation, notamment celle des terres agricoles. Une tendance qui s’accélère : on parle désormais d’un département tous les sept à cinq ans selon les sources. Maîtriser la consommation des terres agricoles est une nécessité, mais bien choisir celles qui pourraient changer de vocation est également essentiel.

Les déterminants de la valeur d’une parcelle agricole

Les milliers d’hectares « prélevés » à l’agriculture n’ont pas tous la même valeur agronomique. Nature du sol et du sous-sol, relief, exposition, système hydrographique, itinéraires agricoles, sont autant de paramètres qui affectent la capacité d’un terrain à accueillir telle ou telle culture et les rendements espérés. À l’heure où l’indépendance alimentaire locale et les besoins de productions alimentaires à l’échelle mondiale sont des priorités, conserver les parcelles les plus productives semble une évidence. Ironie du sort, les villes se sont généralement implantées là où les terres étaient fertiles, les  plus exposées aujourd’hui à la pression foncière.

Viennent ensuite des critères pratiques de bon fonctionnement de l’exploitation agricole : cultiver des parcelles proches du siège d’exploitation, exploiter de grandes surfaces d’un seul tenant plutôt que de petites surfaces dispersées, garantir l’accès aux parcelles sans risque d’enclavement par l’urbanisation, etc.

La perte d’une seule parcelle peut aussi mettre en danger l’équilibre d’une exploitation, selon son poids économique ou son type de production.

Enfin, les situations de voisinage créées par une nouvelle urbanisation ont aussi leur importance : gênes olfactives ou sonores pour les riverains, incivilités envers les agriculteurs, distances minimales règlementées (bâtiments d’élevage, épandage, etc.), difficulté de circulation des engins agricoles. Chaque fois que la frontière entre urbain et agricole évolue, de nouvelles parcelles sont soumises à des contraintes d’implantation ou d’usage : de quoi contrarier le fonctionnement actuel et futur des exploitations.

Tous ces éléments sont invisibles sur le terrain et dans les données disponibles : l’évaluation précise des impacts agricoles d’une ouverture à l’urbanisation nécessite des échanges directs avec les propriétaires et exploitants agricoles des terrains concernés. Dans le cadre de nos missions de SCoT[1] et de PLUi[2], nous valorisons les travaux des Chambres d’Agriculture (très souvent en charge du volet agricole). Leurs apports peuvent aller jusqu’à la production de cartes des enjeux agricoles diagnostiqués à la parcelle et l’évaluation et la hiérarchisation .

L’agriculture, aussi menacée par les effets induits de l’urbanisation

L55_agriLa consommation de terres agricoles est une menace directe pour l’agriculture, mais les consciences évoluent positivement. Cependant l’urbanisation, même contenue, peut avoir des impacts sur l’organisation des exploitations et in fine le maintien de l’activité.

Des contraintes s’imposent aux agriculteurs en matière de gestion des effluents d’élevage. Leur épandage est autorisé dans la limite d’un volume à l’hectare et à distance minimum d’habitations (jusqu’à 100 m). Un éleveur doit disposer (en propre ou par convention avec d’autres agriculteurs) de surfaces agricoles suffisantes pour ses besoins en épandage :  la progression de l’urbanisation et de la zone de recul réduit le potentiel d’épandage, ce qui peut contraindre la taille de son cheptel.

Autre exemple, celui de la transmission des exploitations. Un départ à la retraite nécessite de pouvoir transmettre un outil de production complet et pérenne. Si l’exploitation est perturbée par une urbanisation future directe ou proche, la probabilité de dispersion des terres à exploiter augmente, avec le risque de voir certaines d’entre elles perdre leur usage agricole.

Eviter les effets pervers de la hiérarchisation des terres agricoles

Face au mot d’ordre général de protection des terres agricoles, la démarche de hiérarchisation interpelle : la délimitation des secteurs « essentiels » aux activités agricoles prête à interprétation : les autres secteurs sont-ils superflus et leur urbanisation tolérable ?

Evidemment, les diagnostics agricoles n’ont pas vocation à rendre potentiellement urbanisable tout terrain agricole d’importance « secondaire ». Mais lorsqu’un besoin de développement ne peut s’inscrire au sein des espaces urbanisés, ces études apportent néanmoins une aide précieuse pour réduire les incidences négatives sur l’agriculture. Car les besoins d’urbanisations nouvelles demeurent. Toutes les communes ne disposent pas d’un potentiel mutable ou densifiable suffisant, ni des financements permettant de mobiliser des terrains privés. Nous constatons cependant une mobilisation croissante des collectivités sur le double objectif « d’économiser » les espaces agricoles et de mieux valoriser les tissus urbanisés existants.

En attendant que les réflexions nationales se poursuivent sur le développement du monde rural, tâchons de connaître précisément ce sur quoi repose le bon fonctionnement de nos exploitations agricoles, afin de ne pas condamner leur pérennité. La mise à disposition croissante des données (bases de données open data, documents d’urbanisme sur Géoportail…) devrait aussi faciliter la mobilisation des acteurs dans nos missions, en faveur du court terme des intérêts individuels

Robin Chalot et Catherine Brown


[1] Schéma de Cohérence Territoriale
[2] Plan Local d’Urbanisme Intercommunal