Christophe BETH, SOFTREPORT
Christophe BETH, SOFTREPORT

Nous avons rencontré Christophe Beth avec lequel CODRA a collaboré à l’occasion de l’élaboration d’un Manifeste des territoires détendus, confiée par un collectif de bailleurs sociaux issus de cinq régions françaises. Nous avons souhaité revenir avec lui sur ce partenariat inédit et partager avec vous cette expérience qui ouvre les perspectives.

Pouvez-vous nous présenter SoftReport en quelques mots ?

J’ai initialement rejoint une société d’expertise et de commissariat aux comptes, parce que ma formation économique et philosophique intéressait mon associé ! Nous avons réuni un groupe d’universitaires pour réfléchir sur la mesure comptable et les représentations financières, pour examiner à quelles conditions le discours auquel la comptabilité donne lieu pourrait être porteur d’une capacité de changement. Ceci nous a conduits à développer des démarches et outils prospectifs. C’est ainsi que nous avons créé SoftReport, société d’édition, de modélisation et de conseil dans la sphère décisionnelle et prospective. Nous n’extrapolons pas à partir du passé, mais nous fondons l’approche prospective sur une représentation des métiers de l’entreprise, pour que les parties en présence puissent se représenter et discuter contradictoirement les évolutions souhaitées et possibles. « Non point « connaître », mais schématiser, imposer au chaos assez de régularité et de formes pour satisfaire notre besoin pratique » : cette citation de Nietzsche traduit bien notre ambition initiale !

Luca Pacioli avec son élève Guidobaldo Ier de Montefeltro (1495), attribué à Jacopo de' Barbari
Luca Pacioli avec son élève Guidobaldo Ier de Montefeltro (1495), attribué à Jacopo de’ Barbari

Nous avons choisi pour logo un dodécaèdre, présent dans le portrait de Luca Pacioli, père présumé de la comptabilité moderne en partie double et promoteur de la perspective en peinture. Le dodécaèdre traduit à la fois le souhait d’une mise en ordre et la multiplicité des points de vue. Les développements décisionnels actuels étaient en quelque sorte déjà en puissance à la Renaissance !

Concrètement, comment intervenez-vous ?

Notre travail a d’abord porté sur des outils plastiques mais sécurisés de modélisation, pour développer ensuite de l’appui-conseil. Les besoins des clients ont orienté notre activité : les métiers à cycle long, par exemple le logement social, et les problématiques complexes, comme les modèles de partenariat public-privé (PPP) ou le financement de grosses infrastructures. Dans un monde happé par la simplification, nous militons modestement pour traduire la complexité du réel et ses interactions.

SoftReport est une petite structure et nous nous rêvons comme des artisans modernes : le geste artisanal exprime la continuité entre l’artisan, ses outils et ce qu’il crée ; la production fait sens. Transposée à notre activité, la logique de l’Organon nous invite à intégrer toute la chaîne. Bien souvent, la commande ne porte que sur l’outil. Mais nos clients apprécient parfois aussi de remettre en perspective leurs représentations et leurs façons de penser l’entreprise.

Ainsi, le logement social repose sur un modèle économique et social qui n’a pas fondamentalement bougé depuis les années 80. Alors, nous sommes heureux quand nos interlocuteurs apprécient à la fois notre savoir-faire technique et notre capacité critique.

Peut-on dire que c’est votre façon de vous démarquer, d’effectuer un pas de côté ?

Oui, et le pas de côté, c’est aussi l’idée d’une pensée et d’une pratique ouvertes, ce qui rejoint le projet de partenariats et va à l’inverse de la tendance actuelle où chacun cherche à préserver son pré carré. Evitons d’être défensifs, ne cherchons pas à protéger notre capital à tout prix. Participons à l’intelligence collective, élargissons les approches et les points de vue, tentons de franchir les limites ! Une petite structure doit voir les choses autrement qu’une grande et oser la confrontation avec ses confrères et surtout les autres disciplines.

Quelle est la complémentarité de nos champs d’intervention ?

Notre collaboration illustre cette volonté d’ouverture. SoftReport s’inscrivant dans le registre financier, les clients attendent d’abord des résultats ; cette assignation me gêne, surtout pour des résultats qu’ils connaissent peut-être déjà. Vous avez, vous CODRA, la capacité à bâtir un dispositif de représentation, notamment géographique, vous témoignez du réel. Cette complémentarité nous incite à une démarche réflexive et critique : ensemble, nous démontrons que chaque acteur – organismes, collectivités, services de l’Etat, consultants – porte la responsabilité des politiques de l’habitat. Nous suggérons que la tentation simplificatrice (l’unité « républicaine » ?), des choix insuffisamment questionnés ont conduit à des décisions inadaptées et finalement très pénalisantes pour les territoires détendus. A deux voix, nous pouvons prendre à revers les idées reçues, nous essayer en artisans d’une intelligence collective.

Notre intervention commune, nous l’espérons tout du moins, aide les acteurs de l’habitat à faire part de réflexions renouvelées, à penser ensemble autrement, à se doter d’un raisonnement, indispensable pour trouver des voies nouvelles à remettre inlassablement sur le métier. Avec le Manifeste, nous avons construit un cadre, nous avons offert la possibilité de choisir un sens ou un autre si la première hypothèse n’était pas la bonne.

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Comment l’intelligence collective contribue-t-elle à faire évoluer les mentalités et les pratiques ?

Un bon consultant doit être capable de « sortir du cadre », notamment lorsque celui-ci est dysfonctionnant et cela avec l’aide de ses interlocuteurs : la parole collective est déterminante. Mais, bien souvent, la hiérarchie bride la capacité de penser, en particulier dans les collectivités dont le fonctionnement est très verticalisé. Dans les échanges vraiment partagés, les inhibitions induites par la pesanteur hiérarchique tendent à s’estomper. L’intérêt de la démarche collective est bien là : donner une autorisation à ouvrir le champ et les possibilités, à s’affranchir de notre passion française de la verticalité.

Le partenariat entre deux cabinets qui n’ont pas les mêmes métiers permet de dépasser leurs propres technicités. Cela crée des tensions et des perspectives, comme dans le dodécaèdre, pour en revenir à lui !

Propos recueillis par Cécile Bouclet et Camille Kertudo