Le 25 septembre dernier, le Tribunal Administratif de Caen a annulé le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Granville (50). En cause, une hypothèse de croissance démographique jugée irréaliste et, qui générait une trop forte consommation d’espaces agricoles.

S’il semble aussi sévère qu’inhabituel, ce jugement vient pourtant sanctionner une pratique courante qui consiste pour un territoire à surjouer la carte de la croissance démographique, en partie par envie de se projeter de façon positive vers l’avenir, mais aussi – voire surtout – pour se donner plus de marge de manœuvre dans la conduite de ses projets à travers un volume urbanisable plus important.

Pour s’en convaincre, prenons l’exemple d’une Communauté de communes sarthoise de 23 300 habitants. Les documents d’urbanisme de ce territoire projetaient une population de près de 25 400 habitants à l’horizon 2014. À cette date, la Communauté de Communes comptait en réalité à peine plus de 23 400 habitants. Pour la quasi-totalité des communes, le postulat de croissance de base était surévalué. À l’échelle communale, les écarts paraissent insignifiants : quelques dizaines de ménages, d’habitants et de logements projetées « en trop ». Pourtant, entre leur date d’approbation et 2014, les documents communaux avaient anticipé une croissance démographique 7 fois plus importante que ce qui a été observé.

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Ce constat amène plusieurs réflexions.

Se projeter à horizon 2030, 2040 ou 2050 reste un exercice difficile, pour les élus comme pour les urbanistes et conseils en aménagement du territoire. Des outils et modèles de projections existent. Nous les utilisons, les enrichissons et les affinons au quotidien, mais aucun calcul ne relève de la science exacte. Nous nous appuyons par exemple aujourd’hui sur les statistiques INSEE 2015. À peine publiés, ces chiffres sont déjà en décalage avec la réalité. Il faut alors scruter les tendances et signaux faibles renvoyés par le terrain, ce qui reste un exercice délicat.

La surévaluation de la croissance démographique reflète aussi souvent un discours politique volontariste, porté et assumé par les collectivités. Pourtant, afficher une forte ambition démographique dans son document d’urbanisme ne suffit malheureusement pas à le rendre dynamique. D’autre part, cette situation révèle aussi la peur, pour certains élus, de « manquer de foncier » pour ne pas devoir « refuser » un projet (logement ou activités). Dans ce cas, cela revient à fonder les objectifs démographiques à partir de la quantité souhaitée de foncier constructible alors que cela devrait être l’inverse.

Évaluer d’abord les besoins, pour ensuite réfléchir à la manière la plus efficace d’y répondre constitue pourtant la base d’un projet vertueux. En fixant des ambitions biaisées, il est difficile de mobiliser les bons outils par la suite.

Pour un territoire, surévaluer sa croissance démographique n’est pas neutre. Surestimer la population à accueillir revient par exemple à surestimer le nombre de logements à construire, avec le risque d’augmenter la vacance voire la paupérisation dans le parc existant. On surestime également les besoins fonciers, ce qui détend le marché et encourage le gaspillage des terres agricoles et naturelles. Cela peut aussi générer plus de spéculation foncière.

Ce constat marque des territoires très variés. Rares sont les territoires situés à l’écart des zones de forte pression démographique qui savent se montrer réalistes et construisent leur projet d’aménagement sur un scénario de croissance modérée. Quelques-uns cherchent à accompagner le déclin démographique tout en préservant leurs atouts, avant d’envisager un retour de la croissance à plus long terme. En 2012, le Programme Local de l’Habitat de Nevers Agglomération prenait le parti de « ralentir l’érosion démographique dans un premier temps, puis de la stopper ». Le SCoT du Grand Nevers, en cours d’élaboration, envisage également de faire de la décroissance un axe de travail à part entière. Ces exemples font malgré tout figure d’exceptions dans le paysage actuel de la planification.

Ce constat interroge notamment notre capacité à produire un discours prospectif pragmatique, qui ne donne pas aux territoires concernés le sentiment d’un décrochage après des années parfois de très forte attractivité résidentielle. Dans ce discours, la qualité doit primer sur la quantité ; le cadre de vie et le vivre ensemble doivent être au cœur des politiques publiques.

Samuel Léon