Le 16 mars dernier, l’Ecole d’Urbanisme de Paris organisait une journée sur les espaces urbains vacants. Jusqu’ici peu explorée en dehors des friches industrielles, cette thématique prend de l’importance et une prise de conscience est en train de s’opérer. Délaissés urbains, équipements publics, cellules commerciales, bâtiments tertiaires, logements, etc., ces espaces vides, obsolètes, abandonnés et devenus inutiles font désormais l’objet d’une attention particulière. Confrontés à cette problématique dans notre pratique de l’urbanisme, ce fut l’occasion d’approfondir nos réflexions sur le sujet.

Des espaces vacants de plus en plus nombreux

Les espaces vacants apparaissent d’abord avec la désindustrialisation. Mais avec le développement périurbain et les crises ayant accéléré les phénomènes de rétrécissement et de récession urbaine, ils touchent de plus en plus de territoires et de fonctions urbaines (habitat, commerces…). Le cadre de vie est dévalorisé, et avec le sentiment d’insécurité et les dégradations, un déficit d’image s’installe.

Quelques chiffres éloquents : dans 55% des villes moyennes, le taux de vacance des commerces est supérieur à 10%. En 2015, 622 000 m² de bureaux sont immédiatement disponibles à Paris et l’Ile-de-France compte 140 hectares de friches industrielles en 2016.

De multiples formes d’occupation temporaire

Alors qu’un espace vacant génère des risques et des coûts (charges, gardiennage, sécurisation, maintien en état…), son occupation est un vivier d’économies. Partant de ce constat, des associations et des entreprises ont eu l’idée de mettre en relation les propriétaires de lieux inoccupés et des usagers potentiels : habitants, commerçants, travailleurs…

L’association Plateau urbain met en relation des bailleurs – publics comme privés – et des porteurs de projet. Son opération phare, « Les Grands Voisins »[1], concerne le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris, dans le 14e arrondissement, dont l’occupation est officialisée par une convention d’occupation précaire.

L’entreprise Camelot[2], quant à elle, installe des résidents temporaires dans des bâtiments tertiaires et commerciaux mais aussi dans des logements vides, qui peinent à retrouver une utilité. Les occupants paient un loyer très modique ainsi que les charges, tout en évitant la mise en friche et en sécurisant les lieux.

« Ma boutique à l’essai »[3] se concentre sur les commerces vacants en centre-ville constitué. En négociant avec le propriétaire, elle permet à des créateurs d’entreprise de s’installer pour un temps donné. Ceux-ci testent leur projet et participent à la redynamisation du secteur.

Ces expérimentations redonnent vie aux lieux. Avec une programmation ouverte, les espaces vacants deviennent les incubateurs de nouveaux usages : projets culturels, entreprises, activités liées à l’économie sociale et solidaire, recycleries… Les actions qui les encadrent ont besoin de souplesse. Les partenariats, caractérisés par une logique gagnant-gagnant, sont réinventés ; les montages économiques aussi. De nouveaux acteurs, souvent non institutionnels, y trouvent leur place. Des idées sont testées, devenant parfois des solutions pérennes.

Du temporaire au long terme

Si l’occupation temporaire permet dans certains cas de traiter les espaces vacants de façon momentanée, quid de leur devenir sur le long terme ? Faute de projet pérenne, il est parfois compliqué à imaginer, en particulier dans les territoires détendus. Dans ces conditions, redonner de l’attractivité et remettre ces sites sur le marché relève d’un véritable challenge, auquel nous sommes confrontés dans l’étude que nous menons actuellement sur le centre-bourg de Commercy.

Dans ce type de contexte, l’Etablissement Public Foncier du Nord-Pas-de-Calais dédensifie souvent. Par exemple, l’opération « Cité Lys » dans le quartier de Fives à Lille a consisté à démolir 70 maisons de courées dégradées pour réaliser 25 logements. Face à la faible capacité du marché à absorber l’offre foncière et immobilière, l’EPFL procède aussi parfois à des opérations de renaturation. Le site industriel PCUK a Wattrelos a ainsi été réhabilité en prairie de fauche et en zone humide. Outre la valeur d’usage, grâce à la transformation d’une friche en lieu de promenade, ce projet revêt aussi une dimension écologique déterminante et renforce la biodiversité. Perçu au départ comme un outil pour enrayer la consommation du foncier en faisant la ville sur la ville, l’EPFL est devenu plus que cela : il réduit les espaces urbanisés au profit de la trame verte et bleue.

Ces retours d’expérience montrent que les espaces vacants peuvent aussi devenir des opportunités. Certes, ils sont souvent les symptômes du déclin urbain, mais ils nous poussent à être inventifs et créatifs en inventant de nouvelles manières de faire la ville et de la requalifier, plus vertueuses d’un point de vue social, écologique et environnemental. Réutiliser l’existant et recycler le foncier, c’est s’inscrire dans une logique de préservation et de valorisation des ressources urbaines et naturelles. Ces exemples laissent aussi présager qu’il est possible de limiter l’étalement urbain voire de réduire les espaces urbanisés, à condition, bien sûr, d’accepter la décroissance.

Lucille Leday

[1] https://lesgrandsvoisins.org/
[2] http://fr.cameloteurope.com/
[3] https://www.maboutiquealessai.fr/