Petite révolution dans les transports franciliens : en septembre prochain, exit la tarification zonale et bienvenue au Pass Navigo à tarif unique. Il en coûtera désormais 70 € pour un abonnement mensuel et 770 € pour un abonnement annuel. Cette mesure, promesse de campagne des dernières élections régionales, vise à une meilleure égalité des territoires dans une région où il faut aujourd’hui débourser plus de 1 200 € annuels pour un Pass permettant de naviguer des zones 1 à 5, avec des temps de parcours souvent très importants et une fiabilité qui n’est pas toujours au rendez-vous. C’est aussi l’objectif de convaincre les automobilistes d’emprunter plus volontiers les transports en commun et de laisser leur voiture au garage pour éviter des émissions de polluants. Selon le type de déplacements habituels, l’économie est plus ou moins substantielle (1). Pour autant, il ne faut pas oublier que 50% du prix du Pass est d’ores et déjà pris en charge par l’employeur. L’effet financier réel est donc moins spectaculaire pour l’usager (l’économie réellement réalisée sera donc au maximum de 217,25 € en zone 5, et non de 434,50 €).

Derrière ces objectifs louables d’encouragement au report modal et de correction des inégalités territoriales de la région capitale, cette mesure peut-elle avoir un impact sur les choix résidentiels des ménages ? Une tarification « plate », c’est à dire identique sur tout un territoire, comporte un revers : le prix du déplacement n’entre plus en ligne de compte pour le choix du lieu d’habitation. Mais face au coût du foncier en Ile-de-France, cette « économie » peut-elle être déterminante, si on considère que les ménages intègrent le coût de la mobilité dans leur budget, ce qui n’est pas certain. La question émerge dans les débats sur certains territoires de grande couronne : une démonstration s’impose.

Imaginons un ménage constitué d’un couple avec un enfant, vivant et travaillant tous deux en zone 1-2 : ils dépensent actuellement 732 € par an, pour eux deux, en abonnement Navigo (2). Ce ménage souhaite devenir propriétaire. Avant la réforme, un achat en zone 5 aurait entrainé une hausse de leurs dépenses de déplacements pour venir travailler à Paris, les obligeant à débourser 1 204 € pour deux par an. Sur vingt ans, durée standard d’un prêt bancaire, cela aurait représenté une dépense totale de 24 000 €. Demain, avec la tarification unique, ce coût sera ramené à 15 400 €, leur permettant « d’économiser » 8 690 €. Un montant non négligeable dans un projet d’acquisition immobilière mais insuffisant, comparativement aux écarts de prix à l’achat ; ce sont bien ceux-ci qui continueront à déterminer les stratégies résidentielles. Par contre, ces évolutions tarifaires pourraient être intégrées par le marché immobilier.

Dès lors, si la mesure a valeur de rééquilibrage d’une « injustice » pour les ménages vivant en grande couronne, aujourd’hui doublement pénalisés par des temps de transports longs pour un coût élevé, elle est potentiellement porteuse d’un risque d’accroissement des prix en grande couronne. L’effet pourrait même s’étendre au-delà des frontières de l’Ile-de-France, en accélérant les phénomènes observés aujourd’hui aux franges de la région capitale. Des ménages y accèdent à la propriété à moindre prix et rejoignent en voiture les terminus RER, leur permettant d’utiliser un Pass Navigo pour aller travailler quotidiennement en Ile-de-France. Toujours plus loin donc ? Vue sous cet angle, on comprend moins cette mesure, qui va dans le sens d’un confortement des migrations pendulaires associées à une dégradation des conditions de vie des ménages.

François Péron et Claire Philippe

(1) Des dispositions spécifiques sont prévues pour les personnes souhaitant n’effectuer que des déplacements de courte distance en moyenne et grande couronne, là où l’offre en transports publics est moins dense.

(2) Soit deux abonnements navigo zone 1-2, avec une prise en charge à hauteur de 50% par leurs employeurs respectifs.